vendredi 25 mars 2011

Nous

Hier, c'était le 24 mars. Et le 24 mars 1976, l'Argentine passait sous contrôle militaire. Et jusqu'en 1983, les militaires se succédèrent. Et jusqu'en 1983 les gens disparurent; 30 000 êtres humains.

Les opposants politiques, les syndicalistes, les transsexuels, les lesbiennes, les homosexuels, les aborigènes, les afro descendants, les juifs. Torturés, assassinés puis séparés en morceaux, éparpillés dans la mer ou sur la terre.

Hier, le 24 mars 2011, les Argentines et les Argentins se sont souvenus.

Et moi aussi. J'ai fait mon entrée, simplement, dans cette histoire collective à laquelle je participe désormais. Je suis allée sur la Place de Mai. J'ai marché sur l'Avenida de Mayo et j'ai croisé toutes sortes de gens, qui se rappelaient, ensemble.

Les fans de death métal qui hurlaient la résistance, les populations aborigènes et leurs flûtes andines qui élèvent l'âme, le candombe afro-argentin et la sueur de la danse, toutes les différentes variantes de regroupement péroniste national latino-américain de la jeunesse, le Parti communiste, les socialistes, les mères de la Place de Mai avec leur foulard blancs, les kirchneristes de tout acabit.

Ils y étaient.

Nous y étions.

Le soleil était bon. Le vent frais, automnal. Et j'étais avec mon ami Antonino, heureuse d'être présente. De me souvenir.

Puis, à travers toutes cette faune de banderoles, de tambours, et de chants de stade de football, au milieu de tous ces partis profitant de l'occasion pour se faire du capital politique, apparaissaient soudainement des personnes seules. Des hommes et des femmes avec comme pancarte un photo, jaunie par le temps. Une photo de leurs amoureux, de leurs maîtresses, de leurs fils et de leurs filles, de leurs amis, absents. Disparus. Torturés, puis assassinés, séparés en morceaux, éparpillés dans les airs ou sur la terre. Disparus.

J'ai compris un peu, j'ai senti la déchirure, l'Histoire. Les larmes sont montées à mes yeux. Je suis restée déconcertée, errante face à cette violence, ces politiques, cette cruauté tellement humaine.

J'ai regardé Antonino.

J'ai vu autour de moi de milliers de gens présents pour faire exister la mémoire collective et qui, avec leurs banderoles, leurs bras en l'air et leurs tambours criaient, chantaient et dansaient, pour que ça ne recommence plus.

Et nous avons repris nos sourires, le soleil était bon, le vent automnal, et nous dansions et chantions et crions "Nunca más".